à Madame La Ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filippetti, Madame La Ministre des droits des femmes Najat Vallaut Belkhacem au sujet des allégations de Monsieur Bruno Mantovani, Directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris

 

Mesdames Les Ministres,

Monsieur Mantovani a été nommé à la tête de la prestigieuse institution du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris pour en garantir l’excellence, excellence de sa gestion et de son enseignement ; nous espérions de ce fait que Monsieur Mantovani se ferait le promoteur de principes permettant aux grands talents musicaux de demain de s’y épanouir.

Or Monsieur Le Directeur considère aujourd’hui que les femmes sont a priori exclues de certaines carrières, notamment de celles de cheffes d’orchestre. Outre le grand tort qu’il cause à la musique en la privant de talents et de compétences*, Monsieur Mantovani contrevient purement et simplement aux fondements de notre démocratie. Ses propos tenus sur France Musique le 3 octobre 2013 semblent en effet ignorer la règle fondamentale d’égalité qui, inscrite dans notre constitution, constitue l’un des trois socles de notre République.

Principe d’égalité qui s’accorde mal avec l’idée qu’il existerait pour les femmes un « frein physiologique » à l’exercice du métier de chef d’orchestre ainsi que Monsieur Mantovani l’a publiquement prétendu.

Ce principe d’égalité garantit au contraire aux élèves filles des écoles de musique la possibilité d’aspirer aux plus hautes ambitions musicales sans obstacle discriminant lié à leur sexe. Or, nous constatons avec consternation qu’aujourd’hui en France, alors que les jeunes filles sont majoritaires dans les écoles de musique, d’aucuns continuent à placer au dessus de leurs têtes des plafonds de verre qui compromettent un accès égalitaire aux professions musicales.

Quant aux « concours », ils ne reposent pas sur des critères de sélection aussi objectifs et fiables que Monsieur Mantovani le prétend. En témoignent les études qui démontrent par exemple que seule l’audition d’une instrumentiste derrière un paravent peut garantir une parfaite impartialité des jurys hors de toute discrimination sexiste. C’est pourquoi le Parlement européen suggère dans sa résolution du 10 mars 2009 que, par cet usage, l’on garantisse, chaque fois que cela est possible, l’anonymat des candidatures.

De la même façon, Monsieur Mantovani ne peut contrevenir, comme il l’a fait, aux dispositions du code pénal français qui, par ses articles 225-1 à 225-4, garantit la non-discrimination directe ou indirecte des femmes « en raison de la maternité, y compris du congé maternité ». Sa position hiérarchique et son avis décisif dans le recrutement des élèves est un paramètre qui, dans ce contexte, aggrave la portée de ses propos.

Nous, Mouvement HF, souhaitons donc que le CNSMDP se montre à la hauteur de ses missions en respectant les valeurs d’une démocratie du XXIème siècle ainsi que les dispositions de la loi en vigueur dans notre pays en matière d’égalité professionnelle.

Il est temps que les établissements d’enseignement de la musique dans leur ensemble adoptent une attitude résolument incitative en faveur des femmes instrumentistes, compositrices et cheffes d’orchestre afin que filles et garçons, en France, puissent accéder de manière égale aux métiers de la musique, sans discriminations fondées sur des considérations d’un autre âge.

Nous souhaitons que le monde de la musique puisse s’enorgueillir au plus vite de pratiques réellement mixtes et égalitaires et que les déséquilibres qui en sont aujourd’hui la marque honteuse ne soient plus demain que de vieux souvenirs. Pour mémoire : les métiers de la musique sont, en 2013, les moins féminisés des professions artistiques ; entre autres chiffres : seules 3% des musiques que nous entendons sont composées par des femmes et, sur la saison 2013-2014, seules 17 femmes dirigeront un orchestre sur 574 concerts prévus en France.

C’est pourquoi nous attendons des institutions une réponse ferme et immédiate aux graves allégations de Monsieur Mantovani. Parallèlement et parce que l’égalité professionnelle femmes-hommes est un enjeu majeur et un atout de performance pour notre société, nous attendons que le Ministère de la Culture amorce rapidement une politique de formation sur ces questions à l’adresse des responsables des structures publiques d’enseignement musical, ainsi que le préconise sa feuille de route. Nous souhaitons que toutes les vocations soient encouragées par les autorités de référence et non systématiquement déçues par des discours pénalisants.

Le mouvement H/F, qui se félicite d’avoir lancé en 2013 une Saisons Egalité avec 121 structures culturelles partenaires dans quatre régions se veut aujourd’hui force de proposition pour avancer dans ce sens aussi dans le domainde musical aux côtés du Ministère de la Culture et du Ministère des Droits des Femmes, et pour faire appliquer les dispositions relatives à l’égalité professionnelle et à la mixité dans les métiers en accord avec le projet de loi du gouvernement.

Dans l’espoir que notre sollicitation retiendra votre attention, nous vous prions, Mesdames les Ministres, de recevoir nos salutations distinguées.

Le Mouvement HF, réuni en Fédération interrégionale :
HF Aquitaine, HF Auvergne, HF Bourgogne, HF Bretagne, HF Île-de-France, HF Languedoc-Roussillon, HF Limousin, HF Midi-Pyrénées, HF Nord-Pas-de-Calais, HF Normandie, HF Picardie, HF Poitou-Charentes, HF Provence-Alpes-Côte d’Azur, HF Rhône-Alpes.

*Le Parlement européen, dans sa résolution du 10/03/2009 « souligne que la discrimination à l’égard des femmes pénalise le développement du secteur culturel en le privant de talents et de compétences. »