Soirée de lancement Saison Égalité 2 en Île-de-France
Mardi 21 octobre 2014 à 19h au Nouveau théâtre de Montreuil
Vers l’abolition des privilèges ?
À propos de la loi du 4 août sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et de la disparition du Ministère du Droit des Femmes.
L’association HF Île-de-France qui milite pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture, tient à affirmer son profond regret et son étonnement face au recul du gouvernement et du législateur sur ces questions au cours de l’été.
Nous avions tout lieu de nous réjouir en effet le 4 août, lorsque, par un hasard de calendrier, plus de deux siècles après l’abolition des privilèges par la constituante, la première loi transversale pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes était adoptée. Nous nous réjouissons en particulier que le mot « culture » apparaisse dans cette loi : pour la première fois une loi transversale comportait des articles visant spécialement la culture, ceci à la suite de la première lecture du Sénat en septembre 2013.
Hélas, au terme d’une année de navettes entre les deux assemblées, et après deux auditions de HF à l’Assemblée Nationale pour examiner ce projet de loi, sur cinq articles spécifiques à la culture, il n’en reste qu’un seul, dépourvu d’outils concrets garantissant sa mise en œuvre ! (1)
L’article 1er alinéa 9 prévoit : « des actions visant à garantir l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes et leur égal accès à la création et à la production culturelle et artistique ainsi qu’à leur diffusion. » Nous restons ici dans la pure déclaration d’intentions : comment sortir du vœu pieu sans assortir cet article d’objectifs précis, mesurables et inscrits dans une temporalité, et sans doter la loi de propositions concrètes et coercitives?
Pourtant celles-ci ne manquaient pas. Ainsi nous déplorons la suppression de quatre articles qui correspondaient aux revendications portées par le Mouvement HF (voir notre Manifeste) :
exit l’article 162 sur la lutte contre les stéréotypes de genre dans le domaine de la communication audiovisuelle ;
exit l’article 18 B3 qui imposait que la question des inégalités soit inscrite dans les formations des écoles supérieures d’art ;
exit l’article 22 terA4 qui prévoyait une quasi parité dans la proportion de femmes dans les conseils d’administrations et les instances de direction des EPCC (Etablissements Publics de Coopération Culturelle) ;
exit enfin l’article 22 quinquies5 qui assurait la pérennisation de la veille sexuée à travers la mise en place d’un Observatoire de l’égalité instauré par décret. (6)
Il nous semble important d’inscrire dans la loi des actions de sensibilisation et des mesures de portée symbolique. La question du genre doit être inscrite dans les cursus des formations et la sensibilisation aux inégalités entre les femmes et hommes dans les arts et la culture doit être abordée au moins une fois au cours de la formation des étudiant-es artistes et des futur-es professionnel-les de la culture. Le Mouvement HF insiste par ailleurs pour que la veille sexuée soit une obligation inscrite dans la loi afin de mettre en lumières l’évolution de la place et des moyens accordés aux femmes dans les arts et la culture de façon pérenne et coercitive.
Dans le même temps, et c’est là le second motif de désappointement de HF en cette rentrée 2014, nous apprenons à la fin de l’été que le Ministère du Droit des Femmes disparaît dans la nouvelle maquette gouvernementale. Le projet de loi pour l’égalité réelle déposé en juillet 2013 par Najat Vallaud-Belkacem était pourtant l’émanation de ce ministère, qui avait tant œuvré auprès des autres ministères pour que des initiatives soit prises. Ainsi le Ministère de la Culture et de la Communication avait réuni le 10 février 2013 le premier comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Des progrès ont certes été réalisés depuis. Avec la récente nomination de 6 femmes, la proportion de femmes qui dirigent ou co-dirigent un théâtre co-financé par l’Etat (soit l’un des 39 CDN ou CDR) passe de 8% en 2013 à 15% en 2014. Rien de révolutionnaire puisqu’en 2006 et 2009 les femmes dirigeaient 16% de ces mêmes établissements d’après les rapports de Reine Prat.
Et dans les maisons, l’accès « à la création et à la production culturelle et artistique ainsi qu’à leur diffusion » pour reprendre les termes de la loi, stagne ou régresse :
le nombre de spectacles de femmes programmés dans les CDN passe de 34% pour la saison 2011/2012 à 19% en 2013/2014, dans les théâtres nationaux leur nombre chute de 19% à 15%. (7) Le Théâtre National de l’Odéon qui ouvrira sa saison le 3 octobre prochain ne programme qu’une seule femme, alors qu’il s’était déjà illustré par un zéro pointé en 2012.
La musique est encore plus sinistrée que le théâtre : 24% de femmes parmi les musiciens interprètes professionnels, 1% de compositrices programmées en 2014/15, 0% de femmes à la direction d’orchestres subventionnés.
Le cinéma ne fait pas mieux, tant sur le plan des moyens – en 2012 un film de femme a un devis moyen de 3,54 millions d’euros, contre 5,66 millions d’euros pour un film d’homme, que sur le plan des rémunérations – dans l’industrie cinématographique, les artistes interprètes femmes gagnent en moyenne 30% de moins que les hommes, les réalisatrices femmes 32% de moins.
La liste est longue des chiffres qui dressent de l’ensemble du paysage culturel un même constat de blocage et d’inertie. Non, décidément, l’égalité femmes-hommes n’est pas la valeur la plus communément partagée dans l’art et la culture.
C’est pourquoi HF s’alarme de ce double mouvement de recul, qui vient s’ajouter à la question des intermittentes du spectacle, vivement touchées par la réforme de l’Unedic (voir le communiqué du Mouvement HF du 26 juin 2014).
C’est pourquoi plus que jamais notre Saison Égalité – avec 29 théâtres partenaires en Île-de-France fermement décidés à porter la parité à l’ordre du jour, s’inscrit en faux contre la soi-disant fatalité d’inégalités indignes du pays de l’exception culturelle.
Aline César,
présidente de HF Île-de-France.
1 Le Mouvement HF a été auditionné le 19 novembre 2013 par la Délégation au Droit des Femmes présidée par Madame Catherine Coutelle, puis le 25 novembre 2013 par la Commission Culture présidée par Madame Sylvie Tolmont.
2 L’article 16 prévoyait : – d’assurer : « le respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle. À cette fin, il veille, d’une part, à une juste représentation des femmes et des hommes dans les programmes des services de communication audiovisuelle et, d’autre part, à l’image des femmes qui apparaît dans ces programmes, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein des couples. Dans ce but, il porte une attention particulière aux programmes des services de communication audiovisuelle destinés à l’enfance et à la jeunesse. » – et de « promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et à lutter contre les préjugés sexistes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple. »
3 L’article 18 B figurait dans la version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 janvier 2014 et a été supprimé en deuxième lecture par l’Assemblée : « Les formations dispensées par les écoles d’architecture mentionnées à l’article L. 752-1 du code de l’éducation, par les établissements d’enseignement supérieur de la musique, de la danse, du théâtre et des arts du cirque mentionnés à l’article L. 759-1 du même code et par les établissements d’enseignement supérieur d’arts plastiques mentionnés à l’article L. 75-10-1 dudit code comportent un enseignement sur l’égalité entre les femmes et les hommes. »
4 Suite aux auditions de HF nous avions obtenu la modification de l’article 22 TerA (alors article 20 du projet de loi) : « La proportion de personnalités qualifiées de chaque sexe nommées, (…) dans les conseils d’administration, les conseils de surveillance ou les organes équivalents des établissements publics et sociétés mentionnés aux premier et quatrième alinéas de l’article 4 ne peut être inférieure à 40 % » était devenu dans le texte adopté le 28 janvier, article 22 TerA : « L’écart entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes parmi les personnalités qualifiées et les représentants de l’État nommés, en raison de leurs compétences, de leurs expériences ou de leurs connaissances, administrateurs dans les conseils d’administration, les conseils de surveillance ou les organes équivalents des établissements publics et sociétés mentionnés aux
premier et avant-dernier alinéas de l’article 4 ne peut être supérieur à un. »
5 L’article Article 22 quinquies prévoyait la mise en place d’un Observatoire de l’égalité instauré par décret : « Un observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la culture et la communication est placé près le ministre chargé de la culture et de la communication. Il dresse un état des lieux annuel de la place des femmes dans les nominations aux instances de direction du ministère de la culture et de la communication et des institutions publiques de ce secteur, ainsi que dans les conseils d’administration, les conseils de surveillance ou les organes équivalents de ces institutions. Il évalue les caractéristiques de l’emploi des femmes dans le secteur de la culture et de la communication, ainsi que la place des femmes dans la création, la production et la programmation culturelles et artistiques. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret. »
Nous étions d’autant plus satisfaits de cet article que, suite aux auditions de HF, il avait été modifié. Le projet de loi adopté en première lecture au Sénat prévoyait seulement une mission de contrôle et dévaluation à l’article Article 22 quinquies (nouveau) : « Avant le 31 décembre 2014, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la présence des femmes à la direction des institutions culturelles publiques ou subventionnées par l’État, ainsi que dans la programmation artistique de ces lieux. »
6 Cet article figurait dans le projet de loi, il a été définitivement supprimé par le Sénat en deuxième lecture le 17 avril 2014, au motif que cela relève du pouvoir règlementaire et non de la loi et que les moyens de fonctionnement de la structure n’étaient pas précisés.
7 Source : Observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication, Ministère de la Culture et de la Communication, mars 2014