Paris, 11 février 2015

Qu’ai-je appris cette année ?

 

Cette année j’ai appris à dire autrice, résistant ainsi farouchement à mon correcteur orthographique de messagerie électronique qui voulait systématiquement remplacer autrice par « autruche » ou « Autriche ».

 

J’ai appris à dire autrice, même si on me faisait répéter plusieurs fois, avec un rictus sarcastique au coin de la bouche « autiste ?! »

 

J’ai appris à ne plus être schizophrène et à me conjuguer intégralement au féminin, à m’accorder tous les violons sur le même air, l’air de rien ne plus dire auteuRE – metteuSE en scène. Cela dit, notez bien que le même redresseur de tort de la même messagerie électronique persiste à corriger metteuse par

« meNteuse »…

 

J’ai appris à dire autrice aussi simplement qu’on dit actrice. Et là ça ne gêne personne parce que comme nous le rappelle fort bien dans ses travaux Aurore Evain le -trice sied bien à la muse, à l’inspiratrice, et ce depuis le Grand Siècle, tandis qu’il apparaît comme une verrue, un appendice mal formé à la fin du radical de celui qui ceint sur sa tête bien faite l’autorité toute puissante et toute virile de l’auteur ! Et l’Académie française droite dans ses bottes de déclarer toute péremptoire que le mot autrice, pourtant dérivé du très orthodoxe latin auctrix, est à classer parmi les féminins qui « déchirent absolument les oreilles » !… reléguant d’un tour de main notre autrice dans les eaux tristes du mauvais goût de l’éloquence française.

 

J’ai appris à résisté à ceux qui voulaient me faire croire qu’il fallait laisser la langue se réformer de soi-même, parce que la langue, c’est comme la société ça n’évolue pas tout seul… Et parce que je n’ai pas des siècles à vivre pour attendre que la langue accepte enfin de dire notre réalité d’aujourd’hui.

 

J’ai appris qu’il fallait avoir la langue de son côté pour faire autorité.

 

J’ai appris enfin à jouer au scrabble : depuis 2004 autrice compte parmi les mots officiels du jeu et si l’on compte bien, autrice rapporte plus de points qu’auteur. Exception notable, puisqu’en revanche elles rapportent moins de prix : de 1900 à 2013 les femmes remportent 23% des prix littéraires, soit 170 sur un total de 722 lauréats, d’après le rapport de l’Observatoire de l’Egalité produit par le MCC en 2014. La plaquette éditée par la SACD « Où sont les femmes ? » montre que dans les scènes du réseau labellisé en 2013-14 les femmes écrivent 20% des textes, soit 111 sur 552. En 2014-15 selon la même source, 24% des textes joués sont écrits par des femmes.

 

En 2014, j’ai appris à recompter donc.

J’ai appris à ne compter que sur nous-mêmes et notre indéfectible volontarisme pour faire bouger les lignes et ouvrir la page aux autrices, aux actrices, aux metteuses et autres empêcheuses de tourner en rond, entre soi, en vase clos.

En 2014 j’ai appris enfin à ne plus faire l’autruche, à sortir la tête de l’eau et du sable, j’ai appris à dire autrice – ça me fait encore un peu bizarre mais tant pis j’assume, sans fard et sans triche !

 

Aline César,

présidente de HF Ile-de-France