SACD – SCAM Où sont les femmes ?
Les Rencontres SACD/FIFF
Où sont les femmes dans le cinéma ? Les chiffres de leur présence, là où ils sont récoltés (France, Allemagne…) sont consternants. Alors qu’elles sont présentes à l’égal des garçons dans les écoles de cinéma et autres conservatoires, leur nombre se réduit drastiquement au fil de l’avancée dans la vie professionnelle. Une constatation qui ne peut être que le point de départ d’une action. Quelles stratégies pour obtenir la parité ? À Namur, Sandrine Ray et Imogen Kimmel, toutes deux réalisatrices, ont ouvert avec Inès Rabadan, Présidente de la SACD, des pistes qu’il nous tarde d’emprunter.
Les Rencontres SACD/FIFF
_ Chaque année, la SACD s’associe au Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) et y organise des rencontres professionnelles. En 2015, suite à l’actualisation de la brochure Où sont les femmes ? publiée par la SACD-France (il s’agit d’une quatrième édition, preuve s’il en est que l’action est toujours nécessaire), Inès Rabadan, actuelle Présidente de la SACD, a choisi d’évoquer les stratégies à mettre en place pour renforcer la présence des femmes dans le cinéma, en compagnie de Sandrine Ray, réalisatrice française engagée, membre du Groupe 25 Images et d’Imogen Kimmel, réalisatrice allemande co-fondatrice du collectif PRO QUOTE REGIE.
Vers la parité, quelles stratégies adopter ?
Stratégie 1 : produire des données
Questionnées, Sandrine Ray comme Imogen Kimmel s’accordent sur une base impérative d’action : les chiffres. Toutes deux ont fait l’expérience d’un monde du cinéma resté bouche bée devant l’ampleur du déséquilibre existant entre hommes et femmes en matière de réalisation, de direction d’image, de montage, dès lors que les chiffres sont couchés sur le papier. Elles insistent également sur une pratique d’observatoire qui assure l’actualisation de ces chiffres chaque année. Une amélioration constatée (comme le nombre de femmes qui réalisent des films) peut, en effet, dissimuler une nouvelle discrimination (en matière de budgets, si le nombre de films réalisés par des femmes augmente le montant des subventions qui leur est accordé ne gonfle pas en conséquence, par exemple).
Stratégie 2 : pratiquer le renversement de perspective
Découlant de la première, et relevant de l’argumentation à mettre en place pour faire prendre conscience au monde du cinéma qu’il est tout entier impliqué dans l’avènement d’une parité et qu’il ne s’agit pas seulement d’une affaire de femmes ou d’une question politique, il y a le renversement de perspectives. Que diraient les hommes s’ils ne réalisaient que 3% des films produits en un an ? Diraient-ils encore qu’ils partent à chance égale avec les femmes, que tout est une question de qualité de projet, que les « hommes sont bien visibles, tout de même, qu’ils arrêtent de se plaindre ? »
Stratégie 3 : étayer son mouvement et ses revendications
Faut-il inscrire les quotas dans la loi ? Sandrine Ray rapporte l’expérience française et la loi portée par Najat Vallaud-Belkacem qui, pratiquement, n’a rien changé dans les faits.
Imogen Kimmel rapporte la fondation de PRO QUOTE REGIE, une association fondée par une poignée de réalisatrices autour des chiffres récoltés en Allemagne et de la meilleure manière de les faire parler. Après un an de réflexion en silence « pour se renforcer », l’association, dont 320 femmes de cinéma sont aujourd’hui membres, a été fondée et a reçu le soutien de 600 femmes et hommes issues de différents milieux culturels et non-culturels, un accomplissement que la réalisatrice qualifie de « plus grand succès de ma vie ».
L’année de recul avait permis de regrouper les forces, mais aussi de rédiger un cahier de demandes étayées parmi lesquelles trois exigences majeures : la réalisation d’une étude sociologique approfondie qui permette de comprendre le déséquilibre existant, la parité dans les panels d’attribution des subventions publiques et la demande de quotas, une revendication politique essentielle, selon les fondatrices du groupe.
Stratégie 4 : inclure les hommes dans la réflexion
De plein accord, Imogen Kemmel et Sandrine Ray font état de l’inconfort que provoquent les discussions genrées, les femmes refusant de se poser en victimes, les hommes se posant la question de ce qu’ils ont « fait de mal ». Elles prônent l’invitation lancée aux hommes à discuter de l’équilibre nécessaire du discours dans une société composée à partie égale d’hommes et de femmes, réflexion pouvant s’étendre à la structure sociale, ainsi qu’à celle des institutions.
Stratégie 5 : se ménager des appuis théoriques
À la recherche d’instruments théoriques pour appuyer leur propos les réalisatrices de PRO QUOTE REGIE ont découvert William Ross Ashby, un cybernéticien auteur notamment de la loi de la variété requise. De sa théorie, elles ont retenu un argument majeur : un système meurt s’il n’est pas aussi complexe que la société qui l’entoure. Avec une précision essentielle : tant que l’on n’a pas modifié 30% d’un système (masse critique), il ne change pas.
Stratégie 6 : pratiquer l’effet boule de neige
Fortes de leur association et de leur réflexion, les réalisatrices de PRO QUOTE REGIE se sont appuyées pour diffuser leur message sur l’effet boule de neige. Toutes connaissaient quelqu’un (qui connaissait éventuellement quelqu’un) qui leur permettait de pénétrer les lieux de pouvoir, d’obtenir un rendez-vous dans les instances dirigeantes des télévisions, le monde politique, les organisations de festivals… Ce procédé simple leur a permis de sensibiliser leurs interlocuteurs, d’obtenir un appui politique et, grâce à leur constance, une subvention pour diffuser leur message au dernier Festival de Berlin (2015).
Stratégie 7 : se former au lobbying
L’organisation d’une forte visibilité au Festival de Berlin a également été possible grâce à l’embauche antérieur d’une coach, rétribuée par les premières membres de l’organisation. Celle-ci avait préconisé le lancement d’une liste de soutiens destinée à recueillir de grands noms (producteurs, acteurs…) afin de renforcer la légitimité de l’action auprès des décisionnaires. Elle a également formé les réalisatrices à l’utilisation optimale de leurs réseaux, une pratique qui a débouché, après quelques rebonds, à la tenue d’une discussion au Parlement allemand sur la parité dans le monde du cinéma.
Stratégie 8 : élargir le réseau à des associations-soeurs
PRO QUOTE REGIE ayant acquis sa légitimité et sa masse critique, l’association a tissé des contacts avec des groupes-soeurs dans les autres pays d’Europe et à l’international. Ces contacts ont permis d’intégrer l’expertise d’autres mouvements, parfois confrontés à des contextes différents ou qui ont tracé des campagnes d’action empruntant d’autres voies.
Stratégie 9 : résoudre les luttes de pouvoir au sein de l’association
La mise en place d’un observatoire permanent des chiffres, couplé aux retours d’expérience et à la menée de réflexions nouvelles découlant des deux actions précédentes, ont amené l’association allemande à présenter de nouvelles revendications au monde politique et notamment la revendication de ce changement de législation qui modifierait l’accord liant le gouvernement et les pouvoirs subsidiants en matière de culture pour y introduire un article qui prescrive une parité entre les bénéficiaires de subventions ou encore la demande de genrer les chiffres des rapports annuels du Ministère de la culture.
Ce regard rétrospectif sur les actions réalisées – et l’élaboration de nouvelles revendications – réclame l’élaboration d’un consensus entre personnalités fortes et parfois divergentes. Imogen Kemmel met en garde : si les luttes pour le pouvoir au sein de l’organisation ne sont pas résolues, celle-ci est menacée d’implosion.
Stratégie 10 : avancer en se libérant des introjections sexistes
Dans leur route vers la parité, Sandrine Ray et Imogen Kemmel ont réalisé le même constat : au cours de leur réflexion, elles et les associations qui les entourent ont pris conscience de ce que les femmes ont introjecté, intégré, en matière d’autocensure. Ainsi, une femme qui ne reçoit pas une subvention ne se penchera pas sur les chiffres, mais se blâmera de ne pas avoir réalisé un dossier assez complet et perdra peut-être des années à le polir encore et encore. Nous devons, appuient les deux réalisatrices, continuer à avancer, sans peur de sujets qui n’ont pas la même valence pour les unes et les autres (l’abandon d’enfants par la mère, sujet de La Balade de Lucie réalisée par la Française et qui n’aurait pas eu le même impact s’il s’était agi de l’abandon par le père – pour n’en citer qu’un), en prenant en compte la situation de manière lucide et en avertissant les jeunes générations, en les sensibilisant à la lutte menée également en leur nom.