Retour sur la Causerie qui s’est tenue le 22 juin 2015 au Centre Hubertine Auclert, intitulée « Les femmes créatrices muse-s-lées : à quand la visibilité des femmes dans la culture ? »
Lire le compte-rendu sur le site du Centre Hubertine Auclert

 

Intervenaient :

 

Deux questions centrales ont guidés les échanges :

  • Pourquoi les femmes artistes qui participent tous les jours à la création artistique et donc au patrimoine culturel restent exclues des moyens de production et de diffusion ?
  • Quels sont les leviers pour avancer en termes d’égalité femmes-hommes dans les politiques culturelles ?

La question des inégalités professionnelles et du plafond de verre qui ne manque pas de sévir dans ce secteur et qui concerne les femmes travaillant dans des institutions culturelles a été abordée, mais les questions soulevées ont porté principalement sur les femmes artistes.

 

En premier lieu, quelques éléments de contexte ont été évoqués.

Dans un milieu qui se veut avant-gardiste, humaniste et émancipateur, les chiffres montrent que le plafond de verre résiste… Ce n’est que dans les années 2000 que le secteur commence à prendre conscience des inégalités femmes-hommes, plus importantes que dans… l’armée.

 

Le rapport de Reine Prat, en 2006 puis en 2009, « a fait l’effet d’une bombe » (sic) dans le secteur.

Quelques chiffres édifiants issus de ces 2 rapports mais aussi issus du rapport de l’Observatoire de l’égalité femmes-hommes du ministère de la culture créé en 2013 :

  • 92% des théâtres consacrés à la création dramatique sont dirigés par des hommes
  • 86% des établissements d’enseignement sont dirigés par des hommes
  • 85% des textes à l’affiche des théâtres du secteur public et 78% des mises en scène sont faites par des hommes
  • Le coût moyen d’un spectacle peut varier du simple au double, dans une même institution, selon qu’il était mis en scène par une femme ou par un homme
  • 10% des Césars du meilleur film sur 40 lauréats ont été attribués à des femmes depuis 1973
  • 2% des palmes d’or au Festival de Cannes ont récompensée un film réalisé par une femme
  • 8% des Victoires de la musique pour le meilleur album concerne des musiciennes
  • 170 prix littéraires ont été attribués depuis 1900 à des femmes sur 735 lauréats, soit 24%
  • On compte 10% de femmes dans la BD alors que c’est un secteur florissant de l’édition
  • sur 729 spectacles jeunes publics et d’après une étude de Sylvie Cromer, sociologue et enseignante chercheuse spécialisée sur les représentations sexuées, seulement 14% des spectacles sont créés par une équipe féminine, et dans ces spectackes sont représentées 14% de femmes et 12% de filles.

 

En 2014, les femmes représentaient seulement 17% de l’ensemble des réalisateurs-rices, scénaristes, producteurs-rices, rédacteurs-rices qui ont contribué aux films ayant fait les plus grosses recettes. Ce chiffre n’a pas évolué depuis 1998.

 

Présentation d’HF Île-de-france et de ses actions

Née en novembre 2009 à l’initiative de femmes et d’hommes travaillant dans le domaine du spectacle, de la radio et du cinéma, HF Île-de-France se rapproche de HF Rhône-Alpes, créée en 2008, et appelle à l’émergence d’autres antennes partout en France.

L’association HF Île-de-France compte aujourd’hui plus de 400 adhérent-e-s, personnes physiques et morales, professionnel-le-s, acteurs-rices de la sphère culturelle, publics, théâtres et organismes partenaires. L’association HF Île-de-France a pour but de repérer des inégalités entre les femmes et les hommes dans les milieux de l’art et de la culture, la mobilisation contre les discriminations observées, l’orientation des politiques publiques et de l’action artistique et culturelle vers l’égalité réelle femmes/hommes : dans la distribution des postes de responsabilité et des moyens de production, dans la composition des jurys et des instances de décision et dans les programmations. HF réalise aussi des études, (une en cours sur les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique) interpelle les instances publiques et politiques, à organiser des colloques et des temps d’échanges et de réflexion, des actions de sensibilisation auprès des publics et des médias.

 

L’association a aussi mis en place de groupes de travail spécifiques consacrés au Matrimoine, à la musique, au cinéma et à l’audiovisuel, dispose d’un pôle documentation, réalise une newsletter et convie ses adhérent-es à aux différentes réunions et échanges organisés.

 

HF Île-de-France a notamment engagé des actions comme le lancement depuis 2013 d’une Saison Égalité hommes-femmes en Île-de-France, en lien avec un réseau de 30 organismes et de théâtres franciliens partenaires.

Le projet Matrimoine, les femmes dans l’art

Et l’association travaille actuellement sur le Projet Matrimoine se déployant sur plusieurs axes : la création d’un site internet-ressources qui sera lancé en septembre 2015, pour les journées du Patrimoine et l’organisation de manifestations partout en France autour des femmes artistes, souvent méconnues. Ce projet est en lien étroit avec les territoires : il ne s’agit pas seulement de faire connaître et de rendre hommage à des personnalités féminines, mais aussi de faire connaitre des lieux, des musées, des bibliothèques, des constructions, des sculptures, des lieux de mémoire… en lien avec des artistes féminines. L’idée est aussi de proposer des parcours, des promenades selon les régions autour de parcours de femmes remarquables ou de féministes. Le recensement se fait sous forme de fiche type, et le fonctionnement est participatif. Tout un chacun peut soumettre un lieu pour le projet et le site internet. Cela va permettre d’élaborer une cartographie des créatrices dans le passé ou actuelles. Des événements seront organisés avec les Lundis de la création : théâtre musique, danse et cinéma seront organisées en 2015-2016.

 

Véronique Ataly précise que le mot de matrimoine n’a pas fait débat dans l’association, il parait même beaucoup plus évident que le terme d’ « autrice » refusée par l’Académie française. Cet exemple montre l’importance des mots, le pouvoir du langage pour visibiliser les femmes artistes, d’autant plus que le terme d’autrice a toujours existé, il vient du latin auctrix féminin de auctor : auteur. On remarque ainsi que lorsque « auteur » est devenu une profession, la féminisation de la fonction a été balayée. Aurore Evain, qui étudie depuis 20 ans le sujet, a répertorié 150 autrices sous l’ancien Régime, 350 au 19ème et 1500 au 20ème. A la Comédie Française, ont été jouées 17 autrices au XVIIIe siècle, 13 au XIXe, et 5 au XXe siècle et seulement 3 au 21ème. Entre 1958 et 2002, aucune autrice n’est rentrée au répertoire de la Comédie Française.

Il est souligné que le public des théâtres est majoritairement féminin. Il apparait important de sensibiliser le public sur les inégalités flagrantes d’accès des femmes à la programmation dans les théâtres et d’inviter par exemple les spectatrices et les spectateurs notamment à aller voir des spectacles mis en scène par des femmes. Les établissements culturels subventionnés sont réputés peu ambitieux en la matière, et craignent d’attribuer la tête d’affiche ou la « grande salle » à un spectacle produit ou mis en scène par une femme moins connue. De plus, ils favorisent des pièces classiques, pour s’assurer un public de scolaires tout au long de l’année et ces mêmes pièces classiques sont toujours écrits par des auteurs et non par des autrices. Mais si un jour le Matrimoine est reconnu, les autrices « classiques » pourront être jouées.

 

 

Hélène Perroud, à l’origine des « Talentueuses » présente son initiative pour promouvoir des femmes artistes dans l’art contemporain ou dans l’artisanat d’art à l’aide d’un site internet, véritable plateforme de ressources, l’organisation d’événements et divers soutiens pour une meilleure mise en réseau et visibilité des femmes artistes. Elle rappelle que les femmes ne représentent que 2% des collections des musées, et 15 à 20% des artistes exposé-e-s dans les galeries, alors qu’elles représentent 60 à 80% des étudiant-es en école d’art. Même si certaines œuvres ont été acquises ces dernières années dans les musées, des expositions comme @Elles à Pompidou il y a quelques années ne suffit pas à dédouaner les institutions culturelles de la faible place faite aux femmes.

Femmes, photographie et pseudonyme masculin

Vincent David révèle que l’auteur-e du blog Atlantes et Cariatides est en réalité une femme photographe qui utilise un pseudonyme masculin comme outil de performance. Le titre du blog souligne que ce sont des hommes mais aussi des femmes qui « soutiennent » le temple de la culture au profit quasi exclusif des hommes.

 

Cette initiative soulève la question « faut-il se faire passer pour un homme pour être programmée ? ».

Beaucoup d’artistes ont la tentation d’écrire sous un pseudonyme masculin. Le slogan des Georgette Sand, qui s’est créé l’an dernier avec cette maxime : « Faut-il vraiment s’appeler George pour être prise au sérieux ? ». L’autrice d’Harry Potter, J.K Rowling, qui s’appelle Joanne ou a pris le pseudo de Robert Galbraith, ou encore Kressmann Taylor, l’autrice de Inconnu à cette adresse, est une femme dont le nom est Kathrine. Ce sont l’éditeur Whit Burnett et son mari Elliott Taylor qui jugèrent que « cette histoire était trop forte pour avoir été écrite par une femme », et décidèrent du pseudonyme masculin de Kressmann Taylor, qu’elle utilisa ensuite jusqu’à la fin de sa vie. Elle devint pourtant l’autrice d’un « jour sans retour » et la première femme professeure d’université aux Etats-Unis.

 

Cela pose aussi la question de la panthéonisation de plus de femmes, faudra-t-il attendre encore des années pour qu’il y ait de nouvelles entrées ? Ou bien construire son propre panthéon ?. Plusieurs initiatives dans ce sens ont été évoquées : le site « la Panthéone », le blog « invisiblisées » qui comprend des femmes artistes comme des aventurières ou des scientifiques…

 

Le pseudonyme masculin en général, et celui de « Vincent David » en particulier permet de percevoir l’ampleur des inégalités et des discriminations vécues par les femmes artistes, d’autant plus si elles sont issues de l’immigration ou racisées. En tant qu’auteur-e identifié masculin sur internet, le travail de Vincent David est peu critiqué et sa crédibilité n’est pas questionnée.

 

Elle présente les inégalités dans la photographie. En effet, très peu d’expositions ont permis de faire connaître le travail de femmes photographes dans les hauts lieux de la photographie à Paris, telles que la MEP (Maison Européenne de la Photographie). Elle rappelle son décompte précis : 83% d’hommes, 17% de femmes exposés dont 15% d’entre elles avec leurs conjoints.

 

Selon ses termes, « on ne laisse pas forcément les cimaises aux femmes ». Les chiffres sont identiques parmi les artistes exposés aux rencontres de la photographie d’Arles ou encore dans la répartition parmi les œuvres de femmes photographes éditées dans des livres d’art. Pourtant, ces livres sont souvent financés par des fonds publics ou privés. Quelques initiatives ne suffisent pas relever le niveau, parmi lesquelles la future exposition « Qui a peur des femmes photographes : 1870-1940» au Musée d’Orsay. Mais globalement la présence des femmes dans les arts est loin d’être linéaire mais au contraire subit une courbe descendante.

 

Et l’institution publique ?

 

Muriel Genthon, inspectrice générale des affaires culturelles, au ministère de la culture, et grande témoin pour cette causerie, explique qu’elle partage les constats faits sur l’inégalité même si ce n’est pas le seul sujet sur lequel elle intervient.

 

Elle rappelle que le rapport de Reine Prat a été mené au sein et sous l’égide du ministère de la culture et la création de l’observatoire de l’égalité femmes-hommes du ministère de la culture, créé sous l’impulsion de la loi du 4 août 2014 et du comité interministériel en matière d’égalité femmes-hommes. Il prévoit de faire la parité au sein des différents commissions au sein du ministère de la culture (ordres professionnels, Hadopi, CSA…) Elle rappelle qu’elle a aussi dû faire face à l’argument « il n’y a pas d’experte » alors que les femmes sont tout autant compétentes dans ce secteur, mais moins visibibles. Le ministère fait figure de bon élève en matière d’écarts salariaux (5% d’écarts constatés tout de même), et rappelle qu’il s’agit du plus petit ministère et que les salaires y sont plus faibles.

 

La création de l’observatoire a permis une avancée notable, en matière de visibilité des inégalités. Des chiffres produits sont maintenant disponibles sur le site. Les différents enjeux relèvent de la représentation des femmes à la tête des établissements culturels, de l’ordre de 25%, l’importance des nominations, qui ne privilégient pas toujours des femmes. Les femmes sont également moins bénéficiaires des avances sur recettes pour la production d’un spectacle. Elles sont également moins nombreuses à demander, mais des quotas en fonction pourraient être intégrés ou bien des labels qui pousseraient le soutien et l’accès à des moyens de production, pour l’ensemble des établissements subventionnés : CDN, CN, pôles cirque, orchestres nationaux, conservatoires nationaux, scènes de musiques actuelles…

 

Les leviers pour avancer

Muriel Genthon explique l’importance de la mobilisation de la société civile pour avancer, telle H/F qui se saisit des données produites pour avancer des revendications en la matière. Toute attribution de subvention suppose de contrôler voire d’imposer des critères, avec l’argent public qui a été attribué, et ce dispositif devrait requérir des contreparties, comme par exemple le fait d’exiger des quotas de femmes soutenus financièrement ou programmées. Dans les conventions d’objectifs et de moyens, qui font l’objet de négociation entre l’Etat et les établissements culturels, les conditions pourraient aussi être renforcées dans le sens de favoriser des femmes dans l’accès à la production et à la diffusion d’œuvres artistiques avec par exemple des objectifs de 40%. Il pourrait aussi être demandé de faire un bilan sexué. La ministre devrait faire des annonces dans ce sens.

 

Elle rappelle qu’alors que 60% de filles étudient dans les écoles, y compris dans les écoles d’architecture, on compte très peu de femmes parmi les professeur-e-s. De même, davantage de mixité dans les écoles d’art devrait être observé.

 

Enfin, les freins des femmes pour créer des entreprises et prendre des risques devraient être aussi plus étudiés. Même s’il est souligné que de nombreuses femmes dirigent de petites compagnies de théâtre.

 

Julie Muret, chargée de mission au Centre Hubertine Auclert, rappelle que plusieurs rapports font état d’un « entre soi masculin », dans la production dramatique, souvent de la part de directeurs de théâtre par exemple qui ne prennent pas de risques, réalisent des créations à huis clos, et organisent quelques sessions « jeunes compagnies », sans pour autant y investir massivement, afin « de se donner bonne conscience ».

 

Les ambitions politiques et institutionnelles sont vues par les hommes comme un prolongement des ambitions artistiques alors que pour les femmes, c’est être artiste avant tout. Ainsi, les femmes ne se sentent pas légitimes pour monter en responsabilité dans des institutions culturelles. C’est la situation d’un plafond de verre imperceptible dans l’accès des femmes à un certain niveau de responsabilité et ou de financement.

 

De la salle

 

  • Le recours à la saisine du CSA peut permettre à des associations d’alerter sur des contenus sexistes ou bien sur le peu de place faite aux femmes.
  • Est présenté le projet de promenades féministes dans Paris pour faire connaître des militantes des droits des femmes à travers des lieux et des noms de rues.
  • Des participant-es dans la salle souligne le peu de chiffres existants sur les arts plastiques, contrairement au spectacle vivant. On compte par exemple seulement 9% de femmes présentes au Festival d’Avignon, alors qu’elles sont plus nombreuses comme spectatrices. Par ailleurs, les directions bicéphales ne suffisent pas toujours à garantir l’égalité dans les décisions. Enfin, les saisons égalité demanderaient à être pérennisées, et pas seulement selon le bon vouloir des directions en place.
  • Une réalisatrice souligne l’importance de promouvoir l’enseignement et la transmission d’artistes femmes en Histoire de l’art, quitte à faire une année sur 2 ou de réserver les cours à des femmes artistes. Enfin, même si la parité ne peut être faite dans l’attribution des subventions, en revanche, sur une plus longue période, il est possible d’instaurer des quotas de femmes mais sur des périodes longues et de manière homothétique.
  • Il serait utile dans le cinéma d’avoir des comités de sélection paritaires. Les subventions aux festivals devraient être aussi conditionnées à l’égalité femmes-hommes. Il pourrait également être instauré un système de points pour encourager l’emploi de femmes dans les équipes de cinéma.
  • Est souligné l’importance de sensibiliser le public à sélectionner des œuvres féminines.
  • Est aussi souligne le risque d’ « essentialiser » et de genrer la production artistique : la parité est vue comme un moyen d’arriver à l’égalité, à défaut d’y arriver par d’autres moyens, mais en aucun cas une fin en soi.

 

Conclusion

beaucoup de choses restent à faire en matière d’égalité femmes-hommes, et les efforts sont à poursuivre du côté du ministère de la culture. Des initiatives très intéressantes ou des revendications émergent des femmes artistes elles-mêmes ou d’associations et sont des pistes à explorer.